Bascanne Voyage

Bali, l’île sauvage ou la chasse aux touristes

Il en a fallu du temps pour arriver. Les émotions se succèdent, l’excitation, la fatigue, l’horreur de la proximité, les odeurs corporelles exacerbées par l’espace clos de l’avion, mais surtout l’émerveillement, l’émerveillement de l’inconnu. Nous partons de Grenoble direction Genève, la Suisse et sa petite pause au Starbucks au cours de laquelle je m’aperçois que ma carte bancaire ne fonctionne déjà pas. Puis le premier avion, Geneve-Amsterdam, à l’arrivée duquel nous avalons notre première bière Heineken dans un bar dédié à cette marque verte. Le voyage a vraiment commencé, nous fonçons à la porte d’embarquement à travers un duty-free sans fin aux airs de Las Vegas. Direction Denpasar via Singapour, le voyage passe vite et sans encombre, si ce n’est notre estomac que l’on gave malgré nous presque toutes les trois heures.

Impossible de penser à quoi que ce soit, à bord d’un avion la sensation de rêverie sans fin n’est pas la même que dans les trains. En l’absence de paysages sur lesquels voler, j’observe mes compagnons de voyage. Un couple d’indiens d’abord, discrets et souriants. Une femme aux yeux fous, devant moi, qui guette avec une certaine avidité les plateaux repas.

A Singapour, nous devons descendre. Si le duty free est aussi immense, il nous parait exotique, orné de végétations locales et de moquettes au goût douteux. Malheureusement, les magasins d’high tech sont là et mes compagnons réitèrent leur escale obligatoire. Après une heure d’errance, nous remontons dans l’avion pour la dernière partie du trajet.

A Denpasar, une forte odeur de cigarette nous accueille bruyamment. Nous changeons les quelques euros retirés en France et négocions un taxi pour rejoindre notre seule nuit réservée : un fabuleux hôtel à Sanur, l’accueil étant constitué d’un immense chapiteau en bois sculpté sous lequel domine un lustre gargantuesque digne des mille et une nuit. Une piscine ornée de végétation travaillée est au centre. Je m’effondre sur mon lit, harassée, et m’endors d’un sommeil lourd sans rêves. Au petit matin, après un petit déjeuner grandiose, nous repartons les sacs sur le dos. Premier contact avec les rabatteurs, nous rejoignons la mer, turquoise, autour de laquelle règne une joyeuse agitation de scooters, bateaux à moteur colorés ressemblant étrangement à des araignées marchant sur l’eau, les pattes en bois leur permettant de ne pas chavirer. L’air est moite et les sacs deviennent lourds.

Une île en face se dessine, Nusa Lembongan, nous prenons un de ces bateaux étranges pour la rejoindre. Voyage d’une heure trente sur une eau turquoise, à l’arrivée l’île verte semble peu habitée. Après quelques mésaventures, nous tombons sur un hôtel tenu par une femme d’un fort caractère. Il pleut à torrents mais cela ne dure pas. Des enfants courent dehors, hilares, un sachet en plastique sur la tête. L’après-midi, nous partons faire de la plongée sur un petit bateau de pêche sans pattes. Sous l’eau, j’oscille entre déception et émerveillement. Déception d’abord, car le courant est très fort, impossible de lutter. Emerveillement car nous voguons à travers des poissons aux couleurs fluorées inattendues. Je remonte difficilement sur le bateau, puis nous replongeons à nouveau sur un nouveau spot. Deuxième arrêt, deuxième oxymore. Les poissons de toute taille sont grandioses ; mais la mer est trouble et polluée. Triste île dont les fonds marins regorgent de nos ordures. Je comprends bientôt pourquoi lorsque je vois notre marin jeter sa cigarette à peine terminée dans l’eau. Cependant, le chemin du retour constitue le vrai spectacle : en se rapprochant de l’île, le marin s’engage dans une zone où il n’y a presque pas d’eau. Je le pense fou, mais bientôt je comprends que la marée est descendue et que c’est le seul chemin possible pour rejoindre le littoral. Nous finissons par tous descendre et pousser ce bateau sur un champ miné de coraux. Le chemin est long et des familles de ramasseurs d’algues nous regardent, un sourire au coin des lèvres. Ils se laissent photographier, le sourire plus prononcé. Des rizières vertes foncées sortent tout droit de l’océan, le ciel s’est dégagé et un volcan noir comme l’ébène se dessine et prend place en arrière fond. La journée se termine près de la mer qui s’est tant retirée ; avec un coucher de soleil irréel jouant avec les couleurs sur les pêcheurs et les ramasseurs d’algues retardataires. Une fois un thon délicieux avalé et mes deux Bintangs (bières locales) dévorées, je me couche émerveillée, les yeux encore emplis de cet étrange paysage.

Le soleil se lève sur l’île et avec lui le joyeux tintamarre vient accompagner puis presque recouvrir le bruit de l’océan. Impossible de se rendormir les coqs hurlent à tout va et comme de nombreux touristes, je me prends à rêver de fusils et de chasses sanglantes. Les cultivateurs des mers se sont levés bien avant moi et ramassent déjà les algues marron, le corps courbé en deux. D’autres les entassent sur un bateau et une fois à terre, ils les remplissent dans des corbeilles. Ces dernières sont récupérées par une autre équipe qui étale les algues sur la berge pour les faire sécher au soleil. On m’apprend qu’elles sont apparemment vendues au Japon en vue de fabriquer des cosmétiques. Aucun moteur ici afin de ne pas détruire la moindre parcelle de culture. En bruit de fond, l’océan au loin qui gronde. La mer est loin d’être teintée de ce bleu turquoise en plein soleil, elle est presque grise, comme au réveil de la Méditerranée. Un avion passe au-dessus de moi, et mes compagnons me rejoignent, j’en avais presque oublié notre siècle.

Après un petit déjeuner indonésien à base de nouilles sautés et de légumes croquants, je refais mon sac et paye l’hôtel. La patronne est honnête et me redonne d’un air amusé les billets de 20000 que j’avais pris pour des billets de 2000. Tous ces zéros nous perdent pauvres touristes que nous sommes. Puis une étroite voiturette nous emmène au lieu d’embarcation de l’autre côté de l’île. Elle nous fait traverser un village coupé en deux par un sentier qui a été autrefois une route. Le chauffeur vogue avec un peu trop d’assurance parmi les scooters, porteurs de fruits, de légumes ou d’algues. Tous sont pauvres, une vieille dame maigre et asséchée me dévisage. A l’embarcadère, un bateau supersonique venu du futur nous emmène à grande vitesse vers Lombok, puis les îles Gillis, piloté par un capitaine si sérieux qu’il en est presque lugubre. Des australiens corpulents suintant le rhum nous accompagnent, un peu plus et nous nous imaginons dans les caraïbes.

A notre arrivée à Gilli T, nous assistons à un mélange de genre non dénué d’intérêt. Plage de sable fin, eau turquoise et femmes voilées. Nous voilà débarqués en pays musulman. A peine le pied déposé sur le sable, nous sommes poursuivis par des receleurs que nous nous évertuons à rejeter poliment. Nous finissons par poser nos sacs à côté de deux bungalows en bois avec terrasse de laquelle je peux contempler la plage et de laquelle j’écris. De là, notre premier bain. C’est le paradis, des surfeurs australiens en plus. L’île est magnifique, mais l’ambiance est loin d’être locale. Gilli T n’a pas la fraîcheur de Nusa Lemboungan où le peu de touristes se mêle au local. Ici, tout est exclusivement tourné vers le touriste. Des airs de Disneyland se dessinent, il s’agit bien là d’une supercherie. Néanmoins, on se laisse avec un plaisir inouï glisser sur le sable, et finalement se mettre joyeusement dans la peau de ce touriste que l’on méprisait il y a peu. Ainsi, nous plongeons, faisons la course à bord d’un kayak et restons de longues minutes à patauger en discutant de tout et de rien. Mais bientôt la pluie retombe avec fracas et nous courons nous abriter. Le soir, la fatigue me rattrape, c’est la tête qui me tourne et il me faut bientôt abandonner les autres en plein repas. La marche est longue et difficile. Je m’arrête à plusieurs reprises, je ne sais plus où aller. Je me mets à imaginer mille et un dangers qui ne se concrétiseront pas. Tous ces visages sur cette route droite, et enfin ce lit tant désiré sur lequel je m’effondre et m’endors presque instantanément. Un peu plus tard dans la nuit, j’entends mon coéquipier rentrer aussi malade. Malédiction, la tourista a frappé.

16/03/2013

Je me réveille affaiblie mais en meilleure forme. Première pour tout le monde, le petit déjeuner est servi sur la plage. Il est très tôt et seuls quelques crabes courent sur la plage. Nous goutons délicieusement à ce silence, presque les yeux fermés, avec comme seul bruit la mer qui va et vient et ce crépitement continu dont je peine à connaître l’origine. La pluie vient réveiller cette matinée qui s’étire. Mon couple d’amis va plonger, de mon côté je pars à la recherche d’un club de surf. En s’enfonçant vers le centre de l’île, c’est un vrai village qui se détache, avec ses commerces, son école qui me laisse entendre quelques chants et entrevoir des écoliers en uniforme.

Après plusieurs échecs et infructueuses directions, je décide de louer un masque. Dans l’eau, je ressens immédiatement des sensations de brûlures, je comprends que je viens d’être victime de ces minuscules méduses transparentes carrés ornés de petits points noirs.

Les plongeurs me rejoignent. Nous louons des vélos et décidons de faire le tour de l’île. Quel surprenant parcours jonché d’hôtels de plus en plus luxueux séparés par des espaces verts truffés d’ordures. Parfois, la route n’est plus qu’un sentier de sable et nous devons descendre de nos vélos et les pousser. Nous faisons une première pause surf sous les arbres. Il n’y a personne, c’est idyllique. Puis une seconde pause pour nous réhydrater. Nous plongeons dans l’eau pour nous rafraichir, la chaleur est presque insupportable. La plongée est grandiose, malgré des coraux gris et ternes. Les poissons sont extraordinairement colorés, et une tortue, majestueuse, se laisse admirer par deux fois en planant lentement dans l’eau. Je la suis un long moment, émerveillée.

Mais il faut bientôt retourner sur la berge, et à nouveau l’eau s’est retirée. Je n’ai pas pris mes chaussures de plongée et la marche sur les coraux s’avère très douloureuse. Le barman parle bien français. En finissant le tour de l’île, nous tombons sur un café reggae devant lequel un rasta man nous propose des champignons magiques. Cette île est en effet connue pour être « sans loi », ce qui sous-entend qu’on peut librement y prendre toute sorte de drogues. Néanmoins c’est la seule fois où nous nous en rendons compte.

Déjà notre dernier coucher de soleil sur cette île fabuleuse, coucher qui laisse place à un ciel si étoilé que je pourrais rester des heures à contempler. Excités et tristes, deux cocktails avalés et un verre pris dans un marché ouvert dans lequel j’aurais bien mangé, la dernière nuit sur Gilli T commence.

17/03/2013

Après un dernier petit déjeuner sur la plage, nous prenons un bateau direction le Continent, et plus précisément la partie Est de l’île, Amed. Nous croisons sur le bateau une famille de français et quelques dauphins à la vue desquels nous ne pouvons nous empêcher de pousser quelques cris. A l’arrivée, le rivage est très vert et semble presque sauvage. Quelques baraques longent la plage de sable gris. Nous prenons un repas qui tarde à venir et nous nous installons dans un bungalow pour 4. Une envie tenace de retourner à l’eau me reprend, mais il faut déjà se tourner vers la montagne que nous sillonnons en scooters, moi derrière mon coéquipier trop prudent, mon couple d’amis en tête, frénétiques. Il faut rouler à gauche et je profite à l’arrière d’un paysage incroyablement vert mêlé de rizières en cascades et de fougères géantes.

Parfois, la route est si pointue que nous avons du mal à avancer, mais heureusement le scooter ne nous lâche pas. Sans but précis, nous tombons par hasard sur le temple de Limbayan, temple aux 1600 marches. Un moine grimaçant nous loue à l’entrée des saris, uniforme obligatoire pour toute visite de temple. Il parle un anglais presque mécanique à la manière d’un robot dont on aurait accéléré la mise en marche.

Le premier temple est immense, presque désert pour des européens habitués aux décors surchargés. Ici, le vide et des constructions très foncées aux statues éparses et effrayantes. Au 3ème temple, la montée devient plus rude, et nous crions de joie en apercevant des singes qui y vivent en grand nombre et semblent animer les lieux. L’air devient plus moite tandis que nous continuons notre ascension ; la brume d’altitude est de plus en plus épaisse. Bientôt, nous marchons au milieu d’une forêt vierge aux arbres gigantesques sous lesquels pleuvent des lianes. La montée devient très physique mais nous finissons par arriver au sommet. A l’entrée, des enfants jouent avec des singes et les singes se jouent des hommes en tentant de voler les précieuses offrandes aux Dieux. Les participants s’arment de bâtons et tentent d’effrayer ces animaux. Au retour, il commence à faire nuit et le chemin devient difficile à retrouver sur ces routes étroites non-éclairées. Cependant, les locaux nous renseignent avec le sourire, en se lançant parfois dans de grandes gestuelles auxquelles nous ne comprenons pas grand-chose mais qui nous font beaucoup rire. Des enfants courent après nous en nous lançant de joyeux « hello ». A l’hôtel, nous sommes harassés et il me semble entendre en me douchant des discordes quant au trajet de demain.

18/03/2013

Pendant la nuit, des animaux courent sur notre toit, j’apprendrais le lendemain qu’il s’agissait de rats énormes. Je décide de m’octroyer une matinée rien qu’à moi après un petit déjeuner omelette-légumes. La mer m’appelle et étrangement je n’ai pas peur de nager seule. Je sens encore les méduses qui me piquent mais qu’importe les poissons sont trop beaux pour y renoncer. Cependant, le courant m’entraîne inlassablement vers le large et je n’ai malheureusement pas pris de palmes. Le spectacle est moins beau qu’aux îles Gillis mais au large mes compagnons doivent retrouver ce même spectacle magique. Ils sont en plus allés voir une épave. Nous partons cet après-midi pour les terres, je serais bien restée quelques temps près de la mer. La pluie suspend à nouveau ma rêverie. Deux femmes viennent me demander si je souhaite un massage. Un temps pour soi. Mais mon dernier massage s’est si mal déroulé que je n’ai guère envie de retenter l’expérience. Ensuite, c’est une huile de coco qu’on me tend. Je refuse poliment mais je sens bien que mes vendeuses sont vexées. Heureusement la pluie se met à tomber et je cours me réfugier au café où on m’a prêté mon masque. J’aperçois bientôt un occidental en train de se faire masser tout le corps par mes deux vendeuses.

Je viens de rendre les clefs et je me suis réfugiée au fond de la terrasse, mais déjà une voiture m’est promise pour me conduire où je le souhaite et deux conducteurs m’attendent de pied ferme. J’ai beau leur dire de continuer leur route, ils attendent inlassablement et mes coéquipiers tardent à venir. Les deux conducteurs prennent un café avec moi, je leur offre des cigarettes. Il s’agit d’un oncle et de son neveu qui me parlent de tout et de rien pendant une bonne heure, pour finalement me quitter car le plus jeune a un rendez-vous galant avec une très belle chinoise selon l’oncle. J’en profite pour lui poser quelques questions sur leur vie et leur gouvernement. Il me parle de corruption, de commerce de bananes en Australie, mais il me fait surtout parler et ne cesse de me poser des questions sur ma vie, l’Europe, mon métier.

Une heure après, je commence à m’assoupir sur mon carnet. Je ne peux pas bouger car je dois surveiller les quatre énormes sacs. Une française vient me réveiller, Christelle, qui voyage seule pendant un mois. Elle me confirme que les coraux sont marron car morts et que bientôt la faune sous-marine disparaitra. Je souris en l’entendant essayer de sensibiliser une femme qui travaille à l’hôtel et qui jette les ordures par la fenêtre. Mais Christelle parle à un mur. Cette pollution, tout le monde semble s’en renvoyer la faute, les montagnes, Jakkarta, et rien ne semble changer. Quelle tristesse que ce peuple sabotant la nature environnante. Mais mes amis reviennent enfin et je les retrouve harassés de fatigue ; la plongée ne s’est pas déroulée comme prévu et des bancs de méduses entiers les ont accueillis. Cependant l’un d’entre eux me répète avec une joie d’enfant qu’ils ont vu un requin.

Après avoir dévoré un repas épicé, nous partons en direction de Tirta Gangga, un village situé à quelques kilomètres de Amed. Nous traversons à nouveau les champs de rizières en terrasse jusqu’à atteindre un hôtel donnant sur le palais de l’eau. Jardin splendide et exotique comprenant des bassins où des poissons proches de l’obésité nagent au-dessous des nénuphars. Un peu plus loin, des hommes se baignent dans des bains. Je me serais bien baignée mais je n’ai pas envie d’attirer l’attention. Au retour, nous buvons un verre à l’étage d’une baraque en bois qui surplombe la vallée de rizières et la mer. J’achète à une vieille dame très ridée des petites bananes délicieuses et des fruits de la passion.

Repas et coucher sans histoire. Le voyage est décidément un peu trop calme. Je me réveille en pleine nuit, impossible de se rendormir. Mes pensées vagabondent sans jamais s’arrêter. Je suis finalement réveillée par le soleil qui chauffe sur mon visage. Après une douche froide réparatrice et un petit déjeuner face au jardin, j’observe les jardiniers qui s’activent et les passants qui traversent le jardin. Le chauffeur est en avance, il faut partir vers Ubud, au centre du pays. Je me déplace comme une grand-mère, mes mollets sont aussi raides que des bâtons de bois.

Le conducteur n’est pas très bavard mais mon coéquipier fait comme à l’accoutumée la conversation. Nous traversons des paysages verts splendides et je reconnais avec plaisir certains arbres de la Réunion comme des jacquiers et des flamboyants malheureusement encore verts. Au bout de quelques minutes, le chauffeur s’arrête dans un virage et ouvre sa fenêtre. Une jeune femme sortie de nulle part s’avance et lui jette quelques gouttes d’eau sur le visage. Puis elle lui met dans la paume de sa main un mélange de fleurs et de riz, mélange qui se retrouve collé au milieu de son front et derrière ses oreilles. Alors qu’il nous invite à reproduire ce geste, la jeune femme fait le tour de la voiture et jette ce mélange sur la carrosserie. Un billet glissé dans sa main et nous voilà repartis ; la suite du voyage étant entrecoupée de rots du chauffeur et de quelques mots lancés à mon attention sur les lieux traversés et les temples que nous croisons. La conduite est angoissante, tout un chacun passant son temps à klaxonner pour avertir autrui d’à peu près tout, leur présence, le fait de doubler. Quel angoissant tintamarre que ces routes !

Nous arrivons au bout de quelques heures à Ubud, ville touristique au vu des nombreux occidentaux que nous croisons et de nombreux magasins fermés climatisés qui longent la rue principale. Une fois nos quatre sacs débarqués, nous trouvons une maison d’hôtes un peu en retrait de la route. Il s’agit d’un ensemble de bungalows avec de grandes terrasses donnant sur un microcosme d’arbres tropicaux savamment taillés et ordonnés, l’addition d’une fontaine rappelle même le bruit d’un petit cours d’eau qui pourrait le traverser.

Nous décidons de visiter la « sacred monkey forest sanctuary ». Dès l’entrée, nous sommes époustouflés par la proximité et le grand nombre de singes qui semblent être si habitués à l’homme. Malgré des écriteaux à l’entrée du parc interdisant le fait de donner de la nourriture ou de toucher ces animaux, un singe saute à l’assaut du sac à dos d’un de mes compagnons de route et vole le capuchon de crème solaire. Un peu plus loin, un garde offre du maïs aux enfants ou grands enfants en vue de nourrir les singes qui s’attroupent autour de lui. Lors de la visite d’un temple à l’intérieur de ce parc, mon coéquipier cherchant frénétiquement leur contact est pris à partie par les singes qui finissent par lui montrer les crocs.

J’entends et je vois à plusieurs reprises les mêmes comportements. D’abord, une femme corpulente qui offre une bouteille d’eau à un singe. Ce dernier s’empresse de l’ouvrir et de la vider, puis montre ses crocs. Ensuite, c’est un enfant qui se fait mordre après avoir donné du maïs à un autre singe, et qui pleure en disant « he doesn’t like me ». Comment oublier que les singes restent des animaux sauvages.

Un peu plus bas, nous trouvons une petite forêt tropicale aux arbres gigantesques sous lesquels tombe une pluie de lianes.

La journée continue par un marché dans lequel les touristes sont des proies faciles. Poser un bref instant vos yeux sur le moindre objet devient un jeu dangereux auquel il est difficile de ne pas y laisser quelques roupis, voire son bras, et je finis moi-même par repartir avec un morceau de tissu qui finira certainement au fond d’un placard.

Sans arrêt nous sommes sollicités pour un taxi, un massage ou toute sorte de services.

Ce soir, nous allons voir un spectacle de danse balinaise. Nous nous retrouvons dans un théâtre en plein air, des musiciens longent les deux côtés de la scène et s’installent devant ce que nous avons pris pour des bancs magnifiques dorés et sculptés de couleur rouge vif. Il s’agit d’instruments au son étrange et nouveau pour moi. Deux danseuses aux visages tant maquillés qu’ils semblent former deux masques identiques commencent une danse lente et effrayante, à la manière d’une succession d’instantanés. Le rythme est précis et parfois, les mouvements de leurs yeux constituent à eux seuls le spectacle. Puis différents personnages s’avancent et semblent raconter une histoire de combats et d’amour impossible via un haut parleur obsolète qui hurle une langue que nous ne comprenons pas. Il finit par se dégager une impression de cacophonie organisée dans laquelle des enfants maladroitement déguisés en singe en sont l’apothéose. Harassés par notre journée, la fin du spectacle nous retrouve soulagés, et je m’endors peu après d’un lourd sommeil.

20/03/2013

Dans la nuit, je me fais réveillée par un étrange animal. Peut être un coq enroué. Une fois le soleil levé, nous louons des vélos et partons à la découverte des villages alentours. La circulation est dense et la conduite difficile sur des routes parsemées de trous. Nous bifurquons sur un petit sentier que nous longeons tant bien que mal, parfois les vélos sur le dos. Mais notre peine est récompensée : à perte de vue, des rizières, et quelques galeries d’art. Toutes contiennent des tableaux représentant des scènes mythologiques hindouistes surchargées. D’autres constituent des reproductions d’art contemporain et des peintures sur œuf. Nous descendons encore des centaines de marches pour arriver sur une rivière où certains touristes font du rafting. Nous croisons aussi de nombreux temples dans lesquels à nouveau la nature semble non pas avoir repris ses droits, mais accepté de cohabiter paisiblement avec l’œuvre de l’Homme.

L’après-midi, nous vagabondons dans les rues de la ville après avoir trouvé un transport pour demain. Je n’ai pas le courage d’acheter des souvenirs, l’air est très chaud et la perspective de me lancer dans une guerre de négociation ne m’enchante guère.

A Ubud, nous dormons chez l’habitant pour la première fois. Toute la famille vit juste à côté de nous, de l’arrière grand-mère aux petits enfants.

La télévision est sur la terrasse, à même le sol. Constamment allumée, elle se mêle au bruit de l’eau qui coule de la fontaine. Parfois, nous entendons aussi les musiciens qui s’exercent sur leurs étranges instruments. Le soir venu, la grand-mère s’assoit sur la terrasse et regarde une série américaine d’un autre temps, entourée de ses petits enfants. Hormis ce moment de calme, les membres de la famille s’activent constamment à toute heure de la journée. La préparation et la cérémonie des offrandes d’abord, au réveil. Puis l’inlassable passage du balai qui ramasse les pétales de roses et les feuilles dans la cour, toutes les trois heures. L’arrosage des plantes. Et tout le travail suscité par les voyageurs. Aucun doute, ce peuple est extrêmement travailleur, bien plus que nous, et pourtant, avec quelle gentillesse et bienveillance ils nous renseignent et nous aident à retrouver notre chemin. Avec quel sourire les femmes et les enfants se laissent photographier ou nous saluent. Dans cette famille, le dernier né commence à peine à parler, et pourtant il sait déjà dire « hello ».

Nous partons demain en bus pour le Sud de l’île. J’aurais aimé voyager en train mais je n’ai vu aucune voie ferrée sur cette île.

21/03/2013

La matinée est emplie de tâches administratives (confirmation des billets) et de flâneries à travers Ubud. Nous sommes tous détendus par ce massage d’hier soir pendant lequel j’ai failli m’endormir de plaisir. Des doigts et des paumes dotés d’une force insoupçonnée qui malaxent et appuient sur mes muscles douloureux. Nous avons trouvé un transport peu couteux pour Kuta – car nous commençons à être à court d’argent.

A l’arrivée, grande déception. La mer est très polluée, et le harcèlement général des touristes est pire que partout ailleurs. La plage est immense, la chaleur écrasante.

Sur le sable, des milliers de sacs plastiques et de déchets rejetés par la mer. Lorsque nous marchons dans l’eau, nous les sentons sous nos pieds et cela fait froid dans le dos. Cet endroit ressemble à nos plages européennes, le plastique en plus. Même le réceptionniste à l’hôtel est particulièrement désagréable. Quel dommage que de finir par cette ville. Il est si chaud que je m’endors sur le sable. Je n’ai plus la force de parler. Heureusement, la nuit tombe et la chaleur devient supportable. Sur la plage, j’écoute mes coéquipiers parler, bercée par les vagues et l’air marin, d’autant que l’hôtel est miteux et qu’une forte humidité imprègne l’air que je respire.

Demain, je prendrais peut être un cours de surf avec Jömen, un professeur très maigre aux dents très avancées qui m’a hélé plusieurs fois en quelques heures. Il faut dormir, la fin du voyage commence, et je recommence à penser avec angoisse au retour.

22/03/2013

La nuit a été comme prévu difficile. Les moustiques d’abord, puis cette odeur âcre et cette chaleur étouffante. Les minutes sont longues et je ne trouve le sommeil qu’au petit matin. Tout le monde semble avoir passé une nuit difficile. Sur la plage, nous sommes à nouveau assaillis par les locaux. Il fait très chaud et nous avons loués des parasols. L’eau est claire et moins sale qu’hier. Nous nous essayons au surf, et la sensation de glisse et de vitesse est assez agréable. Les surfeurs sont tous blonds décolorés et très bronzés. Nous attendons à l’ombre d’un bar que les heures les plus chaudes passent. Nous finissons par errer dans la ville, écrasés par la chaleur, à la recherche des derniers cadeaux. La négociation est bien plus difficile qu’à Ubud. Les locaux sont des vautours sans pitié qui volent au-dessus des touristes, et ils ont sacrément faim. Au milieu de l’après-midi, je sens que je suis faible et je vais me coucher. Au réveil, il fait enfin moins chaud, je retourne sur la plage, le soleil va bientôt se coucher.

Le ballet des couleurs commence à peine lorsque j’aperçois trois hommes hindouistes qui me prennent en photo et qui veulent se prendre avec moi, pauvre petite européenne blanche en maillot. Ce petit manège va se reproduire un certain nombre de fois. C’est un juste retour des choses, c’est à présent nous, blancs occidentaux, qui constituons quelque chose d’exotique, et surtout de dénudé. Nous commençons la nuit sur la plage, une Bintang ou une Enkel en main, à parler de notre vie en Europe. Après un repas pris dans un four, nous finissons la soirée en compagnie d’australiens qui nous ont hélés et entraînés dans une joyeuse agitation nocturne. J’ai bien envie de faire la fête mais mes co-équipiers semblent trop souffrir de la chaleur.

L’ambiance est étrange. Le bar est tenu par des balinais. Ils ont tous l’air d’être mineurs. L’un d’eux, en particulier, a l’air d’avoir douze ans, tout en se comportant comme un homme, ou plutôt comme un être qui dans son imaginaire est un homme. Œil aubère noir, dents cassés, l’air bagarreur et ayant pris je ne sais quelle drogue. Quant au barman, il ne fait que rameuter des clients et danse avec les femmes à la manière d’une strip-teaseuse. Les deux australiennes, pour leur part, renvoient à des modèles de femmes aux antipodes l’une de l’autre. L’une est blonde, bien faite, avec un je-ne-sais-quoi de femme enfant. Elle est accompagnée de son petit ami balinais, petit, un bonnet en laine sur la tête, qui ne cesse de soulever son tee shirt. Ce dernier semble très fier de sa cicatrice de balle qu’il ne cesse d’exhiber et de son histoire de gang qu’il s’empresse de nous raconter à plusieurs reprises dans la soirée. L’autre est très ronde, brune, parlant très fort, suivie de son petit ami. Je ne peux m’empêcher de penser qu’il n’est sûrement pas là par amour. Un blond arrive et me mime le salut hitlérien, c’en est assez, il est temps de rentrer. Je réussis enfin à m’endormir.

23/03/2013

Nous partons un peu plus tard dans la matinée pour Sanur, notre dernière destination. J’ai fait un cauchemar étrange dans lequel je rentrais à Grenoble et Oscar mon colocataire avait fait de notre appartement une garderie pour animaux. Il fait déjà très chaud. Nous nous sommes tous faits dévorés par les moustiques, et nous passons la matinée à nous enduire de crème solaire et d’anti-moustique. Après un copieux petit déjeuner indonésien, Nasi Goreng et café balinais, nous repartons vers Sanur et ce fabuleux hôtel. L’air conditionné est un délice, et je m’endors immédiatement sur le lit dès les sacs déposés.

Nous profitons ensuite de cette magnifique piscine entourée de végétation savamment taillée et de tout ce luxe environnant. L’après-midi, nous nous dirigeons vers la plage. Deux personnes ont barricadé l’accès au front de mer et prélèvent quelques billets aux voitures et scooters qui souhaitent s’y arrêter. Nous nous promenons sur le bord de plage où les locaux vaquent à leur occupation favorite : la chasse aux touristes. Tourbillons de proposition de massages, tours en bateau et taxi. Le ciel est d’un bleu très clair, et l’air est un nouveau supportable. Les bateaux araignées ajoutent des couleurs vives, rouges, vertes et bleues foncées à ce tableau idyllique. Au loin, notre première île, Nusa Lemborigan, que j’ai tant aimé, et sur notre gauche, le mont. C’est un retour aux sources après la décevante Kuta. C’est samedi, et les balinais se baignent en famille, les femmes toutes habillées. C’est aussi le jour des mariages. Une vendeuse de bananes au prix exorbitant m’explique que les prix des fruits flambent car ils sont tous destinés à devenir des offrandes. Quel dommage pour ces délicieuses petites bananes si parfumées. Ma déception est de courte durée car un peu plus loin, un mariage a lieu. Les mariés sont sur leur trente-et-un. Ils portent des costumes très colorés traditionnels et se laissent prendre avec plaisir en photo.

Lors d’une dernière Bintang au coucher du soleil, une vieille dame amaigrie vient nous demander les bouteilles en verre pour la consigne. Comme nous n’avons pas bu assez vite, elle nous indique un endroit où les enterrer pour les récupérer plus tard. Au bout de quelques minutes, elle revient discuter et insiste pour que nous visitions sa boutique. Prise de pitié, je finis par suivre cette vieille dame si bavarde et par lui acheter des écharpes en soie pour les filles après d’âpres négociations. Nous dinons sur la plage. Des couples sont face à la mer et discutent à voix basse, comme pour laisser chanter librement l’océan. Nous parlons de nos futurs voyages, celui-ci arrivant à sa fin.

En arrivant à l’hôtel, nous retrouvons des connaissances, et nous passons la fin de soirée à nous raconter nos parcours, nos impressions, nos joies. Il est tard et je me couche. Il fait trop chaud pour dormir. Le lendemain, je rends tôt les clefs et je retourne à la piscine. Les jardiniers font leur pause. Ils fument tous des cigarettes aux clous de girofle. J’en tire quelques bouffées, elles me laissent un goût sucré que je n’apprécie pas du tout. Une fois leur pause terminée, je les observe en train de couper, morceau par morceau, un immense palmier autour duquel ils ont bâti un fragile échafaudage en bois qui tangue un peu trop. L’hôtel est empli de couples certainement en lune de miel. Mes coéquipiers sont partis faire le marché de Denpasar. J’ai les poches vides, je ne peux les suivre, et je préfère goutter à un moment de tranquillité avant de partir. Mon stylo est presque vide, j’espère qu’il tiendra jusqu’à la fin. L’heure de la prière a sonné, le mausolée chante l’appel.

Dernier déjeuner majestueux à l’hôtel, digne de ceux qu’on prenait à l’île Maurice. Dernier plongeon dans la piscine, nous repartons tous les huit entassés comme des bêtes dans un fourgon d’un autre temps vers l’aéroport, et le retour arrive, avec l’avion, les gavages, les escales, Amsterdam, Genève, et enfin Grenoble.

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