Bascanne Voyage

Hanoï, ville épicée d’Asie

Le bus de nuit nous a laissé sur un bout de trottoir dans la banlieue de Hanoï. Il est six heures du matin, nous avons peu dormi. La ville semble aussi avoir les yeux collés d’un lourd sommeil. Pour la première fois, au lieu du tintamarre joyeux qui commence dès cinq heures du matin, la ville s’éveille à peine. Les devantures des magasins sont presque toutes closes. Seul un café sur un carrefour nous ouvre de mauvaises grâces ses portes. Tout en dégustant une tasse de ce délicieux café vietnamien, j’observe des visages fermés et des dents serrées. Des femmes en vélo chargées de fruits apparaissent. Après le calme du village de Phong Nha, les rues s’emplissent peu à peu de mouvements qui m’avaient presque manqués. Les trottoirs larges, sur lesquels nous pouvons encore marcher à cette heure matinale, bordent des maisons étroites, puis des immeubles colorés dont les balcons sont toujours alourdis de plantes et d’arbustes. Nous reprenons notre route, direction le Hoan Kiem Lake, à la recherche d’un hôtel. Autour du lac sur lequel tombent gracieusement des flamboyants et des sols-pleureurs, les hanoïens font leur gymnastique matinale. Des mouvements répétés et brusques d’étirements et de steps pour certains, à la manière d’un robot détraqué. Le sport matinal : Hanoï, VietnamDans la vieille ville, les ruelles et les immeubles se serrent ; la vie y fourmille plus intensément, même si, au détour d’une rue, un groupe de dames âgées répète lentement une chorégraphie, apaisant de leurs mouvements le frétillement des citadins.

 

Ce calme matinal s’évapora bien vite. Partis à la recherche d’une agence pour réserver un voyage sur la baie d’Halong, nous errons quelques secondes devant l’adresse indiquée sur internet. Aucune trace de la boutique. A la place, un homme, adossé au mur, avec une carte de visite de l’agence, qui appelle une femme nous demandant de la suivre. Nous plongeons dans un gigantesque marché. La jeune femme nage entre les différentes échoppes, évitant avec une certaine fluidité les scooters, les marchandises déversées à grand bac dans la rue, les vélos surchargés, les odeurs d’épices, et les nuages des gaz d’échappements. Les rues semblent classer par spécialité : les vendeurs de fruits, de viandes, de luminaires, de cintres, de vêtements, de jeux pour enfants, de scelles de scooter, de bonbons, de coffres forts, et de denrées plus surprenantes les unes que les autres, attendent, négocient bruyamment, rangent, sans jamais s’arrêter, et nous continuons à descendre ces rues, emportés par ce flux, suivant autant que possible la jeune envoyée.

 

Nous finissons par amarrer à une agence qui porte bien le nom recherché. A la sortie, la ville ne s’étire plus, elle crépite bruyamment. Au bout de quelques minutes, la gorge nous pique, les yeux brûlent. L’air semble irrespirable. Nous courrons nous réfugier dans la chambre d’hôtel pour reprendre notre respiration.

Les jours d’après, Hanoï s’avèrera une ville pleine de visages. Celui d’un village parfois. Après avoir visité le temple de la littérature, monument érigé à la gloire du savoir, des étudiants et de Confucius, nous avons voulu nous diriger vers l’un des nombreux lacs d’Hanoï : Ho Linh Quang. En voulant couper par une petite route, nous nous perdons dans un labyrinthe de minuscules ruelles sombres et silencieuses, parfois réveillées par un scooter passant à vive allure. Deux vieilles dames au visage fripé, sentinelles placées à des intersections, nous indiqueront le chemin vers la sortie. Une fois dehors, une agitation intense et des étalages de couleur. Un marché, semblable à celui d’un village, nous emplit les narines et ravive nos sens endormis. A même le sol, sur des plateaux en rosier, des fruits, des légumes, des bassines d’eau dans lesquelles survivent quelques poissons, des viandes rouges qui se découpent d’un coup sec par les bouchères, des pieds de cochon, et l’horreur d’un chien entier, rôti. Le lac recherché n’est malheureusement pas accessible. Il fait office de décharge et de parking.

 

Ville bouillonnante d’Asie, aussi, avec ses immenses arbres que l’on a laissé grandir sans tenir compte des immeubles et des routes, ses fils électriques dont le désordre inquiète tous les occidentaux, ses coqs sur les trottoirs, ses restaurants de rue, ses vendeuses aux chapeaux pointus, ses milliers de scooters qui se déversent sur les rues et les trottoirs, ses rues rangées par spécialité ; et nos yeux s’ouvrent tout grand lorsqu’ils tombent sur ce chemin de fer entre deux immeubles qui semblent s’être poussés de bien mauvaise grâce. Une fois le train passé, les habitants reprennent précipitamment leur territoire. Les enfants retrouvent leur terrain de jeu. Les hommes et les femmes sortent les tables, les chaises, et reprennent leurs activités, à même les rails.

 

Ville aux disparités criantes, car face à ce quartier pauvre, Hanoï a aussi le visage d’une capitale moderne, avec ses quartiers chics près d’un majestueux opéra dont les rues ressemblent à une ville européenne , ses résidences fermées du personnel du gouvernement, gardes à l’appui, dont l’intérieur comporte un golfe, eden fermé au plus grand nombre, ce parc immense autour du lac Hô Bay Mau, fréquenté par la classe aisée, dans lequels les hanoïens s’affairent consciencieusement : marche à pied, patins à roulettes, badminton, footing, et collégiens en grande pompe.

 

Ville où j’en découvre un peu plus sur la femme vietnamienne, même si cela fait plusieurs semaines que je les observe, parfois bouche bée. Quelles femmes.  Elles sont sur tous les fronts. Soldats, agricultrices, ouvrières de chantier, mères, vendeuses, véritables bêtes de somme infatigables, peu aidée par l’homme qui bien souvent reste assis en meute à boire son café ou sa bière et à fumer.

 

Enfin, ville à la gloire d’Ho Chi Minh ou de l’oncle Ho, comme l’appellent affectueusement les vietnamiens, avec ces espaces vides soviétiques, ces écoliers en uniforme qui défilent à la queue-le-leu devant le mausolée de leur cher oncle, pris au berceau, religieusement apeurés, à la suite de délégations des minorités ethniques qui nous observent un sourire aux lèvres, venues certainement de loin se recueillir devant le petit père du peuple.

 

Hanoï, ville qui subjugue, qui vous prend tout entier, vous souffle au visage des parfums d’Asie parfois jusqu’à vous en asphyxier, vous fait tourbillonner violemment et vous laisse fatigué, les yeux brillants, et la tête qui se remet doucement.

Une réflexion au sujet de “Hanoï, ville épicée d’Asie

  1. Martine Bascou

    Quel régal de te lire Stéphanie! !!! Ta description est tellement réaliste que l’on s’ y croirait! ! Merci pour ce voyage par procuration.Bises

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